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La limite de nos sens : qu'est-que voir?

Qu’est-ce que la matière ? Qu’est-ce que le réel ? On a chacun tellement l’impression de connaître le monde qui nous entoure qu’on ne se pose à vrai dire même plus la question. On fait naturellement confiance à nos sens pour nous en donner une image nette et précise. Or, la physique nous apprend que l’image que nous avons du monde à travers nos sens est fausse : nous en n’avons qu’une représentation très limitée, car nos sens sont eux-mêmes limités. Par exemple, nos yeux ne peuvent voir qu’une infime partie du spectre électromagnétique (longueur d’onde du visible : entre 0,4 et 0,75 micromètre). Voila un phénomène remarquable : la vision. Comment cela fonctionne-t-il ? Qu’est-que voir ?

Photorécepteurs et longueur d’onde
Les couleurs sont inventées par notre cerveau : ce sont des sensations que nous fabriquons à partir des influx nerveux que nous envoie notre rétine, quand les photons de lumière la percutent. Notre rétine possède deux familles principales de cellules sensibles à la lumière (photorécepteurs). Les cellules en bâtonnet, qui réagissent à l’intensité lumineuse, et les cellules en cônes, qui réagissent à la longueur d’onde de la lumière, c’est-à-dire à la couleur. Pour créer la couleur, les être humains possèdent trois types de cellules en cônes qui réagissent donc à trois longueurs d’ondes distinctes correspondant à la sensation rouge, verte et bleue : la couleur qui émerge dans notre cerveau et que nous voyons effectivement est construite à partir de la combinaison des influx nerveux transmis par ces trois types de cellules en cône.
 
La vision chez les autres vertébrés
Les êtres-humains et les primates ont un pigment de plus que les autres mammifères, à qui il manque le vert, mais nous avons aussi un type de pigment en moins que nos cousins plus lointains que sont les oiseaux et les reptiles, qui possèdent en plus un pigment sensible aux ultraviolets : les oiseaux et les reptiles voient donc des couleurs pour lesquelles nous n’avons pas d’équivalent. La réalité perçue par eux n’est pas identique à la notre (on peut même dire que la leur est plus « riche »).
Une analogie peut être faite avec les ultrasons, qui ont une fréquence de vibrations trop élevée pour nos oreilles (la limite supérieure des fréquences audibles pour les humains est de 20000 Hz), ces rayonnements ultraviolets ont une longueur d’onde courte, trop rapide pour nos yeux.


On peut expliquer les différentes combinaisons de pigments chez les animaux par le fait que les ancêtres des mammifères, qui vivaient à l’époque des dinosaures, étaient nocturnes : ils ont perdu deux des quatre pigments de leurs ancêtres reptiles. Après l’extinction des dinosaures, il y a 65 millions d’années, une variation génétique a doté à un ancêtre commun aux grands singes et aux humains, d’un troisième pigment, le vert. Ce pigment permettait notamment à cet ancêtre de mieux percevoir les fruits sur le fond vert des feuillages.

Conséquences sur la diversité
Les insectes présentent une quatrième variation de leurs photorécepteurs : les abeilles, par exemple, perçoivent le bleu, le vert et l’ultraviolet (mais pas le rouge).
Crédit : John Severns

Ainsi, une même fleur n’aura pas la même couleur pour nous que pour les oiseaux ou les abeilles. Suivant qu’elle reflète ou non les UV et d’autres longueurs d’ondes, elle sera visitée soit par les abeilles, soit par les colibris. Evidemment, la forme de la fleur (plus ou moins adaptée aux insectes ou aux oiseaux), son odeur, son goût, ont une influence importante, mais, dans ces phénomènes remarquables de coévolution et de coadaptation entre les fleurs, les insectes et les oiseaux, cette émergence de variations a probablement joué un rôle important, morcelant et fragmentant un même environnement en des niches écologiques distinctes.


Excepté la coévolution que j’aborde volontiers (c’est un processus majeur permettant d’expliquer de nombreuses choses dans la forêt tropicale), je ne prends que très rarement le temps d’aborder ces sujets durant mes randonnées : il y a tellement d’autres choses à dire sur les plantes et le milieu qui nous entoure, mais il me semble que cela mérite quand même d’être connu !

 
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